Le Réveil #02 - Analyse - Le chômage des jeunes

L'ANALYSE
Le chômage des jeunes

Une baisse à plusieurs visages.

L’ONEm claironne que, pour la première fois depuis 1981, le nombre de chômeurs complets indemnisés est passé sous la barre symbolique des 500 000 allocataires. La contribution des jeunes à ce «bilan positif» est très importante: -49,3% en dix ans pour les moins de 25 ans. Réjouissant?

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Quiconque s’intéresse aux statistiques en général, et à celles du chômage en particulier, sait comment on peut les accommoder à la sauce que l’on veut, au point qu’un plaisantin affirma un jour que «100% des statistiques sont fausses». Il importe donc de bien savoir de quoi l’on parle, de définir les catégories de façon précise. En l’occurrence, le décodage peut sembler simple: la catégorie des Chômeurs Complets Indemnisés (CCI) comprend les sans-emploi à temps plein (complets) qui reçoivent une allocation (indemnisés). Il convient néanmoins d’approfondir ces deux définitions, apparemment basiques. Plus une troisième: qu’est-ce qu’une moyenne de chômeurs? Et pour spoiler la conclusion de cet article, le calcul est tout sauf simple...

Une moyenne mensuelle

L’ONEm annonce donc que le nombre de chômeurs complets indemnisés a baissé de 8,5% ou 45 090 unités en 2017 par rapport à l’année précédente. Ce qui donne une moyenne de 487 291 unités par mois. Premier passage sous la barre symbolique des 500 000 allocataires depuis 1981. De quoi penser que la situation va vraiment mieux. Mais, si la moyenne est jolie, le tableau global l’est-il tout autant ? Le concept de moyenne est clair, il signifie que si trois sans-emploi, pour une raison ou une autre, ne sont soit pas chômeurs complets, soit pas indemnisés pendant quatre mois de l’année, cela représente en moyenne un chômeur complet indemnisé de moins sur l’année! Voyons dès lors ce qui fait qu’on ne compte pas un chômeur comme étant complet et/ou indemnisé durant une année ou durant une partie de celle-ci.

Complets, kézako ?

Le «chômeur complet» est celui qui ne travaille pas à temps partiel, qui n’est pas non plus «activé» par une mesure de formation, de reprise d’études ou d’emploi subsidié par une allocation payée par l’ONEm. Le gouvernement Michel se vante de la création d’emplois et répète à l’envie son slogan «jobs, jobs, jobs». Mais, avec des différences entre secteurs privé et public, une part importante des emplois créés sous la législature actuelle sont des emplois à temps partiel, saisonniers ou intérimaires. Le rapport annuel de l’ONEm nous apprend ainsi que l’emploi salarié net (création d’emploi - pertes d’emploi) a augmenté, de 2014 à 2017, soit pour l’essentiel sous le gouvernement Michel, de 129 000 unités. Dans le même temps, le travail intérimaire a crû de... 120 531 unités! Jobs, jobs, jobs!!! Quand on sait que plus de la moitié des missions d’intérim sont assurées par des jeunes de moins de trente ans, on se doute que ça diminue le nombre de chômeurs comptabilisés même si l’intérim emploie bien sûr beaucoup de jeunes qui ne bénéficient pas d’allocations de chômage. Notre tentative de comptabilisation commence donc bien mal: la diminution du chômage complet s’explique certainement par plusieurs milliers de jeunes bossant en intérim, mais nous ne pouvons la chiffrer avec précision.

Le travail à temps partiel diminue aussi le nombre officiel de CCI. En effet, s’il touche encore une allocation partielle ou un complément chômage (dit «allocation de garantie de revenu», en abrégé AGR), le travailleur ancien chômeur complet indemnisé sera donc toujours «indemnisé» mais ne sera plus considéré comme «complet». Il disparaîtra donc de cette statistique. En 2017, le nombre de jeunes de moins de 25 ans bénéficiant d’une AGR était de 1 236, des femmes à une large majorité. 1 Il faut y ajouter les travailleurs à temps partiel bénéficiant d’une allocation partielle, mais pas de l’AGR, dont le nombre n’est pas communiqué par l’ONEm.

Les travailleurs dont une partie du salaire est prise en charge par l’ONEm, via le plan Activa, ne sont pas non plus considérés comme chômeurs complets, ce qui se comprend évidemment davantage (il s’agit normalement de véritables emplois). Cela concernait 9 560 jeunes de moins de 30 ans en 2017. Les stages de transition, cette forme de mise à l’emploi à vil prix, ont aussi fait disparaître du calcul 1 117 jeunes en 2017. À noter que cette mesure, régionalisée, est en extinction et en cours de remplacement par d’autres dispositifs.

Plus surprenant sans doute pour le profane, les chômeurs ne sont pas non plus repris dans la catégorie des «complets» lorsqu’ils bénéficient d’une dispense pour formation ou reprise d’études. Dans cette catégorie, il est particulièrement regrettable de ne pas avoir les chiffres de la tranche d’âge 25-29 ans qui est certainement davantage concernée que celle des moins de 25 ans qui s’élevait tout de même à 8 426 en 2017! En effet, pour pouvoir reprendre des études ou entamer une formation tout en étant dispensé de disponibilité sur le marché de l’emploi, il faut avoir terminé ses études depuis un certain temps et être bénéficiaire d’allocations également depuis un laps de temps précis.

Dans la plupart des stats de l’ONEm, il est malheureusement impossible d’identifier le nombre de moins de 30 ans, l’ONEm utilisant principalement les catégories moins de 25 ans, 25-49 ans et 50 et plus. Sauf dans le cas de mesures spécifiques visant les moins de 30 ans, mais alors la donnée n’est généralement pas disponible pour les moins de 25 ! C’est pourquoi dans cet article, en fonction des données disponibles, nous utilisons l’une ou l’autre de ces deux catégories pour répertorier les «jeunes».

Les pas (ou plus) indemnisés

La raison principale de la baisse du chômage complet indemnisé est clairement la non-indemnisation. Pas seulement à cause des sanctions, exclusions et fins de droit mais aussi de par le moindre accès aux allocations, qui touche en particulier les jeunes. Paradoxalement, l’idéologie de l’activation à tout crin nous permet d’en savoir davantage qu’avant sur les personnes qui n’ont pas ou plus accès aux allocations. Sont en effet actuellement obligés de s’inscrire comme demandeurs d’emploi les chômeurs sanctionnés (temporairement), les bénéficiaires du Revenu d’Intégration Sociale (CPAS) — sauf exception pour raisons d’équité ou de santé — et les demandeurs d’emploi reconnus comme handicapés par le SPF Sécurité Sociale. Ces inscriptions obligatoires ont augmenté de 81,3% en dix ans.

Comme précisé au début de cet article, les chômeurs sanctionnés temporairement contribuent à faire baisser la moyenne des indemnisés. Avant la régionalisation du contrôle, l’ONEm fournissait le nombre de semaines d’exclusion représentées par les exclusions en «dispo passive», ce qui rendait le calcul facile. Ce n’est plus le cas actuellement, c’est donc une catégorie qu’il faudra investiguer davantage pour la chiffrer. Par ailleurs, on connaît la durée des sanctions temporaires dans le cadre de la «dispo active». Cet aspect des choses, rarement relevé, montre que les politiques de sanctions permettent de baisser artificiellement le nombre de CCI, non seulement sans améliorer la situation des personnes, comme on croirait que ce devrait logiquement être le cas des «sorties du chômage», mais même en l’aggravant… Difficile malheureusement d’évaluer la part des jeunes dans cette catégorie

On sait par ailleurs que l’augmentation du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration ces dernières années est largement le fait de jeunes, on peut donc estimer qu’ils représentent une part importante dans l’augmentation de cette catégorie des inscrits obligatoirement (parmi les + 81,3% en dix ans donc). Au total, la hausse des non indemnisés est de 59% depuis 2007 représentant 61 799 personnes qui ne sont pas/plus indemnisées par le chômage et se retrouvent donc soit sans rien, soit avec l’aide du CPAS… (voir tableau). Alors certes, une part de l’augmentation est due à la visibilisation, par l’inscription obligatoire, de personnes qui étaient des fantômes auparavant. Mais, même s’il faut un peu la nuancer, l’augmentation est incontestable, d’autant qu’il y a de nombreux nouveaux sans-droits.

Les jeunes en stage d’insertion sont eux d’office inscrits bien sûr. Ils font partie du total qui mène aux 59% de croissance. Cette catégorie, qui ne comprend donc que des jeunes, auparavant de moins de 30 ans, actuellement de moins de 25 ans a crû de 26,9% depuis 2007. Cela s’explique par l’allongement du stage d’insertion de 9 à 12 mois, prolongé encore en cas d’évaluation(s) négative(s) des efforts de recherche d’emploi. Dès lors l’écart entre la hausse des jeunes en stage d’insertion et le nombre de jeunes accédant aux allocations ne cesse de croître (voir graphique). Ce phénomène a encore été amplifié parce que l’accès au droit a été restreint par le gouvernement Michel par l’abaissement de l’âge d’admission (la limite d’âge pour demander les allocations d’insertion est passée de moins de 30 à moins de 25 ans) et l’instauration d’une condition de diplôme pour les moins de 21 ans. Comme le montre le graphique, ce double durcissement intervenu respectivement le 1er janvier et le 1er septembre 2015 a agrandi encore l’écart creusé par le gouvernement Di Rupo. Ils étaient ainsi 37 270 jeunes à accéder aux allocations en 2011, pour seulement 16 541 en 2017, une diminution de plus de 55% ! Cette chute s’est donc faite en deux temps: moins 24% de 2011 à 2014 puis moins 41% (du nouveau total) de 2014 à 2017. En 2014, il y avait encore 5 445 jeunes de 25 à 29 ans qui accédaient aux allocations. Cette entrée est aujourd’hui réduite à néant, à quelques exceptions près qui permettent dans de rares cas l’admission en cas de certains problèmes attestés, par exemple médicaux, pendant le stage (753 admissions en 2017). Les jeunes bloqués en stage d’insertion sont eux passés de 39 217 en 2011 (à l’époque le nombre de jeunes en stage et celui des premières admissions étaient presque égaux) à 49 623 en 2017, soit une augmentation de 26,5%!

Enfin, la catégorie des inscrits librement a augmenté de 74,7% durant cette décennie. Cela s’explique sans aucun doute principalement par les nombreux exclus qui n’ont pas obtenu l’aide du CPAS. Parmi eux, les exclus via les différentes procédures de sanctions, principalement la «dispo active» (le contrôle des efforts de recherche d’emploi). Et surtout, bien entendu, les fins de droit aux allocations d’insertion. Leur limitation à trois ans a viré des statistiques 43 382 personnes depuis 2015. À 71% des jeunes: 30 817 ont perdu leurs droits (12 256 de moins de 25 ans et 18 561 ayant entre 25 et 30 ans). À noter qu’il faut ajouter dans les «hors stats» tous ceux qui sont indemnisés par l’Inami (malades de longue durée), catégorie en hausse constante (des chiffres sur les transferts ONEm vers Inami sont attendus sous peu)… Mais cela touche sans doute davantage les plus âgés.

Un vrai déni

Il est donc impossible de chiffrer exactement le nombre de jeunes chômeurs que l’on ne compte plus. Mais il est sans conteste très élevé. On s’étonnera donc qu’on fasse tant de cas de la diminution des CCI et si peu de tous ceux, en particulier les jeunes, qu’on ne comptabilise plus. Mais il est vrai que demandeurs d’emploi non indemnisés, en acronyme, ça fait DENI…

Yves Martens, Collectif Solidarité Contre l'Exclusion


           SOMMAIRE           

  1. Edito
  2. L’écho des Jeunes CSC
  3. Dossier #01 : Flex-Prec
  4. Dans les entreprises
  5. Le ptit qu’on spotche
  6. Analyse #01 : Le chômage des jeunes
  7. Vu des femmes
  8. La bonne initiative
  9. Dossier #02 : Les chemins de fer
  10. Le terrain
  11. Analyse #02 : La pension à points
  12. Témoignages
  13. C’est arrivé près de chez vous
  14. Point culture
  15. Pour ou Contre
  16. Tribune libre
  17. Voix à d'autres acteurs

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