Le Réveil #02 - Le Point Culture

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LE POINT CULTURE
Demain l’usine: la lutte de travailleurs en images

Les Jeunes CSC ont rencontré la réalisatrice du film «Demain l’usine», lauréate du prix de la compétition «Travailleurs du Monde» lors du Millenium Film Festival 2017.

 

 

 

 

 

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Bonjour Clara, peux-tu te présenter et nous décrire ton parcours?

Je m’appelle Clara Teper, je suis française et je viens d’avoir 26 ans. Je suis née et j’ai grandi à Paris où j’ai obtenu un bac littéraire. Après le lycée, j’ai fait une classe préparatoire littéraire où l’on étudiait à la fois la littérature, la philosophie, l’histoire et les langues. Ces études préparent aux grandes écoles ou aux parcours universitaires. Ensuite, j’ai entrepris une licence de philosophie à l’université et enchainé avec un master. En parallèle de mes études de philosophie, j’ai fait du théâtre en formation professionnelle. Après le master en philosophie, je me suis rendu compte que je n’avais pas forcément envie de devenir professeur ni de faire de la recherche. J’avais dans le même temps découvert le cinéma documentaire, et j’aimais déjà beaucoup le cinéma depuis longtemps. J’ai donc eu envie de me lancer dans une formation en cinéma documentaire. Je n’avais jamais fait de pratique, je ne connaissais rien à la technique, je ne savais pas utiliser une caméra, mais je n’avais pas non plus envie de suivre une formation durant 4 ou 5 ans. Cela étant, j’avais besoin d’apprendre, d’être dans la pratique. Je savais qu’il y avait beaucoup de masters professionnels qui s’étaient développés, entre autres à l’université d’Aix-Marseille où j’ai finalement postulé et effectué durant 2 années complètes le master «Métiers du film documentaire». Le master regroupe 15 étudiants par promotion. La 1ère année, nous devions tous écrire un projet de film et à la fin de l’année un jury en retient 4. Ceux-ci sont alors réalisés durant la seconde année du master. Ceux dont les projets n’ont pas été choisis pour être réalisés collaborent sur les films des autres. C’est une formation généraliste qui regroupe à la fois de la technique, de l’écriture, de la production, mais qui se concentre principalement sur la réalisation. Ce n’est pas une formation dont on sort spécialiste dans un domaine technique particulier (exemple: chef opérateur, ingénieur son). C’est donc dans le cadre de ce master que j’ai réalisé «Demain l’usine».

Quels sont tes centres d’intérêt en dehors du cinéma?

Tout d’abord, la lecture. La politique aussi bien évidemment. Je n’ai pas travaillé là-dessus par hasard. J’ai commencé à militer au lycée assez jeune. à l’époque, il y avait pas mal de manifestations étudiantes notamment lycéennes et universitaires, nous étions en pleine période de réforme de l’université. J’ai commencé à véritablement m’intéresser à la politique et avoir envie de militer à ce moment-là. J’ai un peu stoppé pendant 1 ou 2 ans et c’est par le biais de mes études en philosophie que je suis revenue à la politique, car je me suis rendu compte que les lectures traitant de ce sujet étaient celles qui m’intéressaient le plus.

Que raconte le film? Peux-tu nous présenter le contexte de la lutte?

Le film retrace l’histoire d’une usine où des salariés ont lutté pendant 4 ans. Ils fabriquaient des boîtes de thé des marques Lipton et Eléphant qui appartiennent à la multinationale Unilever. En septembre 2010, Unilever a décidé de licencier tous les salariés de l’usine pour délocaliser la production. Les salariés se sont alors battus durant 1336 jours pour finalement parvenir à un accord avec Unilever et reprendre l’usine en coopérative ouvrière. Aujourd’hui, ils sont encore une soixantaine à être tous coopérateurs de l’usine. Chaque membre du personnel est pratiquement au même niveau professionnel et possède une part équivalente d’investissement dans l’entreprise. Concrètement, ils dirigent l’usine à 58. Il n’existe plus de patron qui récupère des profits ni ne donne d’ordres. Le tournage a duré 1 mois, c’est donc une plongée au cœur de la coopérative. Le film cherche à interroger d’une part ce que signifie une gestion en collectivité et d’autre part quelles sont les conséquences plus intimes qui découlent d’une telle lutte. 

Comment chacun vit-il le rapport à son travail après une si longue lutte et après de tels changements dans le mode de production?

L’usine est implantée à Géménos, à proximité de Marseille. Elle se situait à l’origine à Marseille même et l’on y fabriquait une petite part de la production. On y employait pratiquement que des femmes. Beaucoup de choses étaient moins automatisées et l’on s’imaginait que les femmes, ayant de plus petites mains, étaient plus précises dans leur travail. à cette époque, la grosse usine de production des boîtes de thé en France se situait au Havre. En 1998, Unilever a fermé l’usine du Havre et a déplacé 50 personnes vers Géménos. Dans l’usine, il y avait donc déjà une partie des salariés qui avaient vécu une délocalisation. En septembre 2010, Unilever annonce son intention de fermer l’usine et de licencier tous les salariés, soit 182 personnes. Au début, il n’y a aucune proposition de replacement.Unilever souhaite simplement licencier, fermer et délocaliser la production en partie en Pologne et en Belgique car il y a une usine Fralib à Bruxelles. La raison évoquée est le manque de compétitivité.

Pourtant la boîte était rentable

Oui! Les salariés ont prouvé par la suite que la raison avancée était irrecevable, car l’usine était en effet rentable. Unilever France en 2011, c’est 2,5 milliards de chiffre d’affaires! Forts de cet argument, les salariés sont directement rentrés en lutte. Ils ont donc fait invalider par la justice une première proposition d’Unilever et ont pu reprendre le travail pendant un court moment. Unilever a par la suite proposé un second PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi). Ils ont alors proposé de reclasser le personnel en Pologne pour des salaires de 450€/mois. évidemment, les salariés n’étant pas d’accord, ils ont de nouveau entamé une grève. Pendant ce temps, la justice validait le plan social d’Unilever. Les salariés ont alors fait appel et de nouveau la justice a invalidé la proposition d’Unilever. Entre-temps, Unilever dépose un troisième PSE et annonce leur intention de faire enlever les machines du site. Les salariés décident alors d’occuper l’usine afin de les préserver. Jour et nuit, de 2011 à 2014, l’usine est à l’arrêt complet. De façon sporadique, rythmé par les différentes décisions de justice, le travail a pu reprendre. Grève, occupation de l’usine, petite production rythmaient donc le quotidien de l’usine. Cette lutte a été assez médiatisée, notamment à partir de 2011. Les salariés ont très vite compris qu’ils avaient besoin de médiatisation pour trouver des appuis et soutiens. Partout en France, le cas faisait grand bruit. Les salariés se relayaient entre eux, ils avaient mis en place des systèmes de relève très rudimentaires (se laver avec des tuyaux d’arrosage, dormir sur des matelas installés à même le sol…). Les travailleurs ne percevaient plus aucun salaire, c’était très compliqué. Des caisses de solidarité ont été mises en place par la CGT. Le syndicat était très fort au sein de l’usine puisque le taux de syndicalisation était de 55% avant la lutte, ce qui est beaucoup en France. En 2012, François Hollande, alors en campagne, se rend à l’usine et fait des promesses au personnel. Il nomme dans la foulée de son élection Arnaud Montebourg comme ministre du Redressement Productif, et celui-ci force Unilever à participer à une table ronde avec les salariés. C’est ce qu’ils réclamaient depuis le départ, mais Unilever refusait de les entendre et de discuter avec eux. En effet, il n’y avait jusqu’alors jamais eu de véritables négociations entre Unilever et les salariés, dès lors ces derniers menaient leurs actions en justice. Il y a eu une vraie violence de la part d’Unilever qui refusait de parler aux salariés, ils envoyaient des vigiles lors de l’occupation de l’usine afin de déloger les salariés. Une violence à la fois physique et symbolique très difficile à encaisser pour les salariés, qui, étant très attachés à leurs outils de production, ont continué durant toute la période de lutte à entretenir les machines.

Que souhaitaient les salariés?

En parallèle des actions en justice et de l’occupation de l’usine, les salariés se sont rendu compte que s’ils retrouvaient un repreneur ça n’allait pas être plus évident. De plus, ils n’avaient surtout pas envie de vivre le même enfer (délocalisation, restructuration de personnel…). Ils cherchaient donc une solution autre, à plus long terme, en rupture avec le capitalisme. Leur est venue l’idée de monter une coopérative. Ils ont commencé par organiser des séminaires en invitant des acteurs de l’économie sociale et solidaire dans le but de se former. Il était indispensable de connaître le processus de création d’une autoentreprise. Les salariés ont donc proposé leur projet de coopérative et Unilever a fini par accepter après plusieurs moments de négociations. L’année 2013 marquait une première victoire; Unilever avait pris plusieurs engagements: assurer le lancement de la coopérative d’un point de vue financier, payer un grand nombre de dédommagements couvrant les années de lutte durant lesquelles les gens n’avaient pas été payés, céder les machines aux ouvriers et conclure la vente des locaux à la communauté urbaine de Marseille. Jusqu’en 2014, les salariés continuent malgré tout à se battre afin d’obtenir la marque Elephant qui appartenait à Unilever mais qui n’était jusqu’alors produite et vendue qu’en France. Un produit indispensable afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. Malheureusement, ils n’ont pas pu l’obtenir. En mai 2014, les 2 partis signent un accord de fin de conflit. Unilever leur accorde 19 millions d’euros, dans lesquels sont compris 2 millions pour lancer l’entreprise, ~10 millions  pour rembourser et payer le personnel et 7 millions qui correspondent au coût des machines. Durant 1 année entière, le travail reprend sans relance de production afin de mettre en place la coopérative. Les débats sur les salaires, les votes pour désigner officiellement un président (NDR: dans une Scop, Société COopérative et Participative, et dans la législation française du travail, il est obligatoire d’avoir au minimum un cadre et un président), la prise de contact avec les fournisseurs, les distributeurs, etc. En automne 2015, la production en tant que telle est relancée.

Comment t’es-tu intéressée à ce sujet? Qu’est-ce qui t’a poussé à en faire un film?

Je dirais que c’est un mélange de circonstances, de désirs et de convictions. Je suis arrivée à Marseille au moment de la victoire des travailleurs, au cours de l’été 2014. Je suivais l’actualité de ce conflit et j’étais très admirative de cette lutte. Je trouvais ça formidable qu’elle ait pu tenir si longtemps. Par ailleurs, j’aimais beaucoup les films des groupes Medvedkine des 70’s (NDR: des cinéastes qui tournaient des films avec des ouvriers) mais aussi le cinéma plus politique de Godard et Jean Pierre Gorin. J’avais très envie depuis longtemps de faire un film sur une lutte ouvrière. Et d’autant plus d’une lutte qui, pour une fois, était victorieuse! Et puis, je désirais interroger la question du travail: «est-ce que l’émancipation du travail du capital, par la réappropriation de l’outil de production, signifie également l’émancipation des travailleurs?». Ou encore pour le dire autrement: «libérer le travail de la tutelle du capital suffit-il à se libérer en tant qu’individu du travail?». C’est un peu le mythe de l’homofaber que je souhaitais questionner. Ça me tenait à cœur de savoir si il suffit réellement de se réapproprier l’outil de production et de virer le patron pour s’épanouir individuellement. L’occasion était vraiment trop belle avec l’histoire des Fralibs. Je me disais, «maintenant, la coopérative est en place. Est-ce que les salariés sont plus heureux de se lever le matin en sachant qu’il n’y a plus de patron?». La coopérative à proprement parler était en soi un prétexte pour pouvoir aborder ce sujet. La lutte des ouvriers était vraiment portée par une opposition au capitalisme et par une volonté politique qui n’était pas seulement de garder son travail, mais de le changer et le transformer radicalement. Ils y voyaient une nouvelle manière de produire et d’envisager les rapports hiérarchiques, les liens entre les gens au sein de l’entreprise, les liens de chacun au produit et à son outil de son travail. Les moments d’entretiens dans le film ont été construits de manière à ce que chaque individu se questionne sur son rapport au travail.

Qu’en est-il ressorti?

Dans le film, on assiste à certains débats sur les salaires et les postes. Ces réunions représentaient le point culminant des discussions collectives. On peut apercevoir que beaucoup sont encore très attachés à leur travail et ne sont pas prêts à accepter d’être complètement polyvalents. En effet, cela peut remettre en cause l’idée du savoir-faire propre à chaque poste. Au cœur de ces débats se joue vraiment la question de l’individu et du collectif au sein de  l’entreprise. C’est une question essentielle, car de manière générale, dans les coopératives, ton entreprise et ton travail c’est toi! C’est toi qui le crée, toi qui l’organise, toi qui en profite. Et du coup, il y a souvent cette idée que tu devrais tout donner pour la Scop. Certaines personnes qui dirigent disent souvent qu’il faut «pouvoir le faire pour la Scop»! Mais si, entrer dans cette configuration revient à se faire exploiter d’une autre manière, comme auparavant, sous prétexte que c’est maintenant une coopérative, tout ça n’aura servi à rien! Pour la Scop, il fallait pouvoir accepter de gagner moins qu’avant afin de garder les emplois et surtout pérenniser l’entreprise. Certains étaient en désaccord, car après s’être battus pendant 4 ans ils ne pouvaient pas accepter de se retrouver avec un salaire bien en dessous de ce qu’ils avaient auparavant. Le but n’étant pas que les gens continuent à galérer sous prétexte que la coopérative prime avant tout. La question se posait alors: jusqu’à quel point peut-on renier l’individu pour le collectif?

Au vu du postulat de départ, penses-tu avoir répondu à ta question, y avoir vu plus clair?

Non, pas tout à fait. Je pense clairement qu’il y a une véritable amélioration des conditions de travail. Les horaires et le temps de travail sont mieux organisés. L’ambiance s’est grandement améliorée. Avant, le travail était très stressant, voire carrément angoissant. Les pauses étaient surveillées à la minute près, il fallait pointer en permanence. Les managers pouvaient également être extrêmement méprisants et humiliants à l’égard des ouvriers. Aujourd’hui il y a de véritables changements sur ces points. Les 3 pauses n’existent plus, ce sont les travailleurs qui adaptent leurs horaires selon les besoins de production. Toutes les semaines, les plages horaires sont organisées en fonction des besoins nécessaires en gardant une vue sur les possibilités de chaque membre du personnel. Les gens n’ont plus peur, ils se connaissent mieux, s’adonnent à des activités pendant leurs pauses… ce sont des choses anecdotiques dites comme ça, mais qui sont essentielles dans le rapport que l’on entretient à son travail. De plus, le temps de travail étant mieux organisé, le temps libre en dehors peut être d’autant plus épanouissant. De là à dire qu’ils sont complètement épanouis au travail, je ne pense pas. Cela reste laborieux, mais comme dans tous les métiers.

Qu’est-ce qui a changé dans ta vie suite à cette expérience? Suis-tu toujours l’actualité de l’usine? Quelle est la viabilité du projet et où en sont-ils actuellement?

Ça m’a apporté des rencontres! Nous avons beaucoup parlé, chacun a pu me raconter son histoire et c’est toujours très fort d’entendre et de partager des récits de ce type. Il y a eu un vrai échange, on a beaucoup réfléchi et discuté ensemble. On a surtout partagé du vécu: le tournage en lui-même, mais aussi des moments forts en émotions comme certains entretiens. On ressentait dans les échanges que tout le monde était encore assez bouleversé émotionnellement. 
Politiquement, j’étais déjà assez sûre de mes convictions, mais ça m’a aussi clairement donné de l’espoir. Cette expérience me fait dire qu’il faut toujours se battre pour ses convictions. Lorsqu’on peut y aller, il faut y aller! Une phrase revenait souvent au cours du tournage: «celui qui lutte peut perdre, mais celui qui ne lutte pas a déjà perdu». 

Aujourd’hui, je suis toujours en contact avec eux, plus particulièrement avec une personne de l’usine qui est devenue un ami. Le film tourne pas mal et souvent il y a des représentants qui sont présents et des débats sont organisés. Eux continuent à jouer leur pièce de théâtre.

Quels sont leurs défis aujourd’hui?

Ils ont besoin de liquidité pour acheter les matières premières et des nouvelles machines car certaines, qui étaient encore utilisées à l’époque, sont désormais désuètes. Ces machines servaient à fabriquer des sachets qui étaient agrafés sauf que cela est désormais interdit. Ils cherchent donc à les vendre. Tout en ayant beaucoup de commandes, ils ne peuvent donc malheureusement pas toutes les honorer. C’est également compliqué par rapport aux locaux. Au départ, ceux-ci étaient loués à des prix très modestes, mais désormais la majorité politique est passée à droite et ils doivent donc payer un loyer bien plus cher. La masse salariale est également très importante. Certains des 58 employés sont en préretraite et n’ont pas été réembauchés officiellement. Il y a donc une quarantaine de salaires à payer. Les banques leur refusent aussi des crédits. La banque publique d’investissement qui est une banque censée aider les entreprises à démarrer, qui avait de plus fait des promesses, se désengage. La période est dès lors très incertaine. Ils ont lancé une grosse campagne de sociofinancement. Ils espéraient obtenir 700 000 €, ils ont atteint 268 000 €. La situation n’est clairement pas simple. Ils y croient encore et continuent à se battre évidemment. 

A l’heure actuelle, ils ont deux marques différentes: «1336» qui est une gamme de produits naturels mais qui n’est pas bio, vendue en grande distribution; et «SCOP-Ti», une marque bio vendue dans les enseignes bio et les coopératives. C’est un produit qui se vend à plus petite échelle.

Qu’est-ce qui est important pour les jeunes selon toi dans le monde du travail? Doit-on accepter un job ou faut-il pouvoir s’épanouir dans celui-ci? Doit-on pouvoir se contenter d’en avoir un ou chercher coûte que coûte à avoir celui qu’on désire?

Je pense clairement qu’il faut être en lutte, en révolte, prôner un monde meilleur. Les jeunes doivent montrer qu’ils sont capables de réfléchir et qu’ils ont des attentes. Lors des contestations étudiantes, je m’énerve très vite lorsque les médias dominants les font passer pour des petits éberlués qui ne savent pas de quoi ils parlent, qui n’ont juste pas envie d’aller à l’école. Alors que clairement, ce n’est pas le cas! Pour avoir participé à ce genre de mouvement et pour encore aujourd’hui tenter d’y être présente, les jeunes savent de quoi ils parlent, ont des aspirations, dont celle, entre autres, de s’épanouir dans leur travail. Je pense que ce truc de vouloir gagner de l’argent à tout prix n’est plus aussi présent qu’avant chez les jeunes. Il y a un message qu’il faut continuer à porter, une vision politique et pas seulement individualiste d’une volonté d’envisager le travail différemment, de penser son travail et ses conditions, de s’y épanouir. Après je comprends très bien que des gens en galère acceptent des jobs où ils sont de fait exploités. Un moment il s’agit aussi de pouvoir se payer à manger, à boire, son loyer… on n’a souvent pas le choix malheureusement.

Quel est ton rapport à cette précarité?

Un fait très marquant autour de tout ça, c’est la question des stages: avant, le stage de fin d’études débouchait sur une proposition d’embauche. Aujourd’hui, on a l’impression que les entreprises considèrent qu’un jeune, quand il termine ses études, doit réaliser un stage et puis devrait passer 2 ou 3 ans à continuer à en faire en étant très peu ou pas payé. J’entends bien que des petites entreprises aient besoin de gens et n’ont pas toujours les moyens de payer des salaires entiers. Sauf qu’aujourd’hui, c’est une pratique qui s’est complètement généralisée, les entreprises ne fonctionnent qu’au stage! C’est pour moi le summum de l’exploitation. On te fait faire un sale boulot, tu es censé être un sous-fifre total, le tout en ne te payant pas, et on te fait croire que c’est normal sous prétexte que l’entreprise te permet d’apprendre. Alors que c’est toi qui bosses pour elle et qui lui rends service. C’est un problème que rencontrent de nombreux jeunes. Ils se demandent s’ils doivent continuer à bosser gratuitement, à enchaîner les stages, puisqu’on ne leur propose pas d’emploi et qu’ils n’ont pas d’autres choix que de continuer à accepter ces conditions-là. Et lorsque ce ne sont pas des stages, ce sont des emplois précaires sans aucune sécurité. Ou en intérim. Ou en CDD où ils te virent dès la période d’essai pour pouvoir répéter l’opération, payer le moins de charges possible, … Tout ça rentre parfaitement dans le cadre de l’ultralibéralisme. Au final, je n’ai pas d’autres solutions miracles que de prôner la lutte même si j’ai conscience que cela reste un grand mot. Il faut pouvoir aussi trouver les moyens de l’organiser.

Est-ce si facile de lutter?

Aujourd’hui, lorsqu’on fait ses études, on reste dans un ancrage, dans une assise qui permet d’aller vers des formes de luttes; pareil une fois que l’on est embauché quelque part. Ce qui est très compliqué par contre, c’est les personnes qui sont entre les deux, entre la fin des études et l’entrée dans le monde du travail, qui ne parviennent pas à véritablement y rentrer. Eux n’ont pas ou peu d’ancrage, et on ne lutte pas seul dans son coin. C’est beaucoup plus difficile d’y croire et de rester mobilisé dans ce cas.

Je ne suis pas pessimiste, je suis obligée de me forcer à y croire car sinon on devient résigné et l’on repart dans une logique d’individualisation totale. J’ai envie de continuer à y croire, mais on ne peut pas ne pas être un peu inquiet vu ce qui se passe. Je vois la politique comme quelque chose qu’il faut porter collectivement, je ne suis pas très encline à tous les projets de retrait, je suis plus dans une logique de chercher à reprendre les institutions, chercher à reprendre le pouvoir, chercher aussi à travailler avec des partis qui portent ces mêmes valeurs, avec les syndicats… Je comprends ceux qui font le choix du retrait, c’est un choix de vie existentiel, je l’entends individuellement mais moi je crois encore à l’action collective. Il faut continuer à mener des formes d’actions et se former. Il faut continuer à encourager l’autoformation, à lire des livres, à voir des films, à se former une pensée, à côté de l’école.

Propos recueillis en février 2018 par:

Flavio Schillaci, chargé de communication des Jeunes CSC
Crédits photos:© Clara Teper (Demain l'usine)


1336
"ÉVEILLE LES CONSCIENCES, RÉVEILLE LES PAPILLES"
Nom très symbolique d’une marque de thés & infusions natures ou avec arômes 100% naturels, alliant caractère & subtilité et produite à Gémenos, près de Marseille par la 60aine de cigales de la coopérative Scop TI. 1336 c’est nous, c’est vous, c’est faire le choix d’être un citoyen qui ose s’exprimer et veut faire bouger les lignes. Pour soutenir la cause et se procurer les produits, une seule adresse: http://www.1336.fr/


           SOMMAIRE           

  1. Edito
  2. L’écho des Jeunes CSC
  3. Dossier #01 : Flex-Prec
  4. Dans les entreprises
  5. Le ptit qu’on spotche
  6. Analyse #01 : Le chômage des jeunes
  7. Vu des femmes
  8. La bonne initiative
  9. Dossier #02 : Les chemins de fer
  10. Le terrain
  11. Analyse #02 : La pension à points
  12. Témoignages
  13. C’est arrivé près de chez vous
  14. Point culture
  15. Pour ou Contre
  16. Tribune libre
  17. Voix à d'autres acteurs

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