ÉTUDIANT : Briser les dépendances
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7. Briser les dépendances
Briser la dépendance au travail étudiant et au revenu des parents !
Entretien avec le responsable des Jeunes CSC, Ludovic Voet, pour un regard syndical sur le travail étudiant, ce qui le motive et les pistes pour qu’il soit mieux encadré.
On assiste depuis quelques années à une explosion du travail étudiant. Bonne ou mauvaise chose pour les Jeunes CSC ?
Ludovic Voet : Les jeunes veulent trouver des jobs étudiants. Ils en ont de plus en plus besoin pour subvenir à leurs besoins. Ils ont comme aspiration commune l’autonomie. Ils veulent aussi un boulot qui les aidera à avoir de l’expérience pour plus tard. Histoire qu’on ne leur reproche pas le manque d’expérience en début de carrière. Mais, trop souvent, les jobs étudiants ne sont pas en lien avec le domaine d’études et ont donc une faible valeur ajoutée. Cependant, bosser et avoir sa paie fin du mois, c’est valorisant. On est fier de ce qu’on a fait. Le problème, c’est si on est obligé de travailler pour subvenir à ses besoins. Quand je vois que 60 % des jeunes bossent moins de 25 jours par an, ça ne me pose aucun problème, ça parait conciliable avec les études. Mais les 40 % qui travaillent 26 jours ou plus, dont 18% qui travaillent plus de 40 jours, j’ai plus de doutes sur la facilité à combiner ça avec des études sans échec. Sans compter qu’ils ont peut-être également bossé 23 jours dans le secteur socioculturel ou 50 jours dans l’Horeca dans des régimes différents qui ne sont pas repris dans les statistiques. C’est donc un enjeu d’égalité des chances. Imaginez si Usain Bolt devait s’absenter du stade après quarante mètres pour aller servir des frites au Quick, je lui donne peu de chances d’être revenu dans les temps pour descendre sous les dix secondes. L’enjeu, c’est l’abolition du salariat étudiant contraint. Pour le reste, on est évidemment pour la liberté de chacun de travailler, même si le job principal d’un étudiant, c’est d’étudier. D’ailleurs personne n’a jamais interdit à un étudiant de travailler comme salarié « normal ». Mais évidemment, là, ça intéresse moins l’employeur.
Les règles du travail étudiant ont été plusieurs fois élargies, assouplies.
Depuis 2012 et le passage à 50 jours, on voit une explosion du travail hors période d’été. En 2006, 65 % des étudiants ne travaillaient que durant le trimestre d’été. En 2011, ils n’étaient déjà plus que 41 %. En 2016, seulement 27 %. Dans le même temps, ceux qui travaillent tous les trimestres sont passés de 7.991 (2 % en 2006) à 92.132 (18 % en 2016). Les nouvelles règles concernant le travail étudiant, notamment le quota de 475 heures au lieu des 50 jours, ont flexibilisé le travail étudiant. Pour l’étudiant, l’avantage c’est évidemment que c’est plus lisible. Mais désormais, on peut appeler l’étudiant n’importe quand pour une heure ou deux, sans qu’il puisse refuser car il y a beaucoup d’autres étudiants disponibles pour prendre sa place. Cela renforce aussi clairement la concurrence entre salariés et étudiants. Concurrence qui s’était déjà accrue car non seulement le nombre de jobs étudiants n’arrête pas d’augmenter mais c’est surtout cette explosion des jobs durant les trimestres hors été qui pose problème. Pendant l’été, le travail étudiant est encadré : cela permet aux salariés de prendre leurs vacances tout en étant remplacés et à l’étudiant de se faire un petit pécule durant une période où il n’a pas de cours (même si ça peut poser quand même problème pour ceux qui ont une seconde session).
En quoi la concurrence est-elle différente le reste de l’année ?
Jober pendant l’année peut malheureusement se faire au détriment des études, surtout si on est forcé de le faire de façon intensive. Des études ont mis en évidence que si un jeune travaille plus de quinze heures par semaine, son taux d’échec double. (1) Il y a donc d’abord une concurrence pour l’étudiant lui-même entre le travail qu’il doit fournir pour étudier et celui nécessaire pour gagner de l’argent. Hors été, le travail étudiant est clairement une concurrence pour les salariés, par exemple pour les temps partiels qui voudraient un temps plein et, bien entendu, pour les jeunes chômeurs désespérément à la recherche d’un emploi. Dites-vous bien qu’aujourd’hui, un employeur dont l’entreprise est ouverte sept jours sur sept peut épuiser le quota d’heures d’un étudiant et puis en prendre un autre, et ainsi de suite toute l’année. Quatre étudiants sur un même poste consécutivement, ça représente un emploi salarié annuel plein temps !
Mais ça arrange bien les étudiants cette flexibilité !
Oui, du moins une partie d’entre eux, qui n’ont pas forcément besoin de travailler beaucoup. Selon ses besoins financiers, on aura un meilleur rapport de forces pour faire respecter ses horaires. Mais combien d’étudiants doivent sécher des cours pour travailler ? Alors qu’il est interdit de faire travailler les étudiants pendant leurs cours. Mais bon, personne ne contrôle le respect de cet aspect de la loi. Par ailleurs, on dit toujours que la flexibilité est gagnante tant pour l’étudiant que pour l’employeur. Moi je veux bien de la souplesse et de la flexibilité pour l’étudiant. Ma flexibilité, c’est le droit absolu pour l’étudiant de ne pas travailler quand il a cours sans représailles de la part de son employeur. La flexibilité aussi de refuser de travailler en période de blocus ou d’examen. Or, je vois dans la règlementation et la pratique plus de souplesse pour les employeurs que pour les étudiants. Une souplesse proche du laxisme, les contrôles étant rarissimes pour les patrons. Or, il y a des dérives, certains employeurs se permettent avec les étudiants des pratiques qu’ils n’oseraient pas risquer avec les salariés. Et qui vérifie si les salaires payés sont bien au-dessus du salaire minimum légal ? Si les heures supplémentaires sont payées ?
Paradoxalement, le fait de travailler comme étudiant peut donc retarder l’entrée dans le « vrai » monde du travail ?
En effet. Et n’oublions pas en outre que le gouvernement Michel a restreint l’accès au chômage après les études. Donc l’étudiant qui a plusieurs échecs, dont l’une des causes peut être qu’il doit bosser pour payer ses études, prend le risque de ne pas pouvoir terminer son stage d’insertion avant l’âge fatidique de 25 ans et donc ne pourra ouvrir de droit au chômage, ni sur base de ses études (à cause de la limite d’âge) ni sur base de son travail (puisqu’il aura travaillé sans cotiser à l’assurance chômage).
Parce que les fameuses 475 heures sont largement exonérées de cotisations sociales ?
Oui, le travail étudiant représente une perte sèche de cotisations de sécurité sociale. Environ 260 millions d’euros en 2016. Ce qui concurrence les autres salariés, affaiblit l’assiette de cotisations mais fragilise aussi l’étudiant qui croit faire une bonne affaire. Le travailleur étudiant ne bénéficie en effet pas de la sécurité sociale, il n’est couvert que pour les accidents de travail. Il n’est pas indemnisé s’il est malade, n’a pas droit à des congés, n’ouvre pas de droit à la mutuelle ni au chômage et ne cotise pas pour sa future pension. Son préavis est également réduit à un délai plus court que dans un contrat «normal». De plus, l’étudiant paie une cotisation de solidarité de 2,5% dont il ne verra jamais la couleur. Ce sont 21 millions d’euros versés à la sécurité sociale en 2016 alors que le seul risque financé sont les accidents de travail (qui comptent pour 0,3% du salaire brut d’un travailleur). Les Jeunes CSC veulent des droits en sécurité sociale pour les étudiants. Car tout ne se passe pas toujours bien.
Qu’en est-il du salaire ?
La rémunération de l’étudiant est fixée sur base du salaire minimum en vigueur dans le secteur d’activités (la profession) où il travaille. Là aussi, il représente donc une main-d’œuvre souvent moins chère, même hors cotisations, pour son patron. S’y ajoute un salaire discriminant (car plus bas) pour les moins de 21 ans. L’étudiant n’a en effet droit qu’à un pourcentage du salaire mensuel moyen garanti : il subit une perte de 6% par année en dessous de 21 ans. Cette discrimination a été supprimée en 2013 pour les jeunes non étudiants qui ont entre 18 et 21 ans. Il faut faire de même pour les étudiants ! Mais on n’en prend pas le chemin. Au contraire, le gouvernement Michel veut la réintroduire pour les jeunes travailleurs. L’égalité dans la misère !
Etes-vous aussi partisan de la suppression de l’exonération de cotisations sociales ?
Aujourd’hui, la question ne se pose pas comme ça. Supprimer la réduction de cotisations sociales sans toucher aux raisons qui poussent les étudiants à travailler, ça signifierait une diminution des salaires étudiants. Et au vu des conditions actuelles pour bénéficier de la sécurité sociale, les étudiants paieraient 13,07 % mais n’ouvriraient que peu de droits hormis peut-être les allocations de maladies et d’invalidité. En revanche, un contrat salarié leur ouvrirait des droits aux congés payés, au double pécule de vacances, à l’intervention dans les frais de transport, au salaire garanti et à une protection plus forte contre le licenciement avec une période de préavis plus longue. Je veux avant tout convaincre les jeunes qu’ouvrir des droits en sécurité sociale, c’est primordial. Que quand il n’y pas de cotisations sociales, le seul qui y gagne dans 100 % des cas, c’est l’employeur. La concurrence des jobs sans vraies cotisations rattrape le travailleur étudiant à la sortie des études, s’il n’est pas admis aux allocations d’insertion (ou en est rapidement exclu) et ne trouve pas d’emploi car les seuls jeunes embauchés par les employeurs et les boîtes d’intérims sont des étudiants! A noter aussi qu’en France le travail étudiant existe sans que son coût salarial soit inférieur. Donc la priorité doit être d’abord de supprimer les salaires inférieurs pour les jeunes de moins de 21 ans (63% des étudiants jobistes en 2016) et de rendre l’enseignement plus accessible. Un jeune de 18 ans qui gagnerait 18 % en plus en salaire si on abolit la discrimination salariale en défaveur des étudiants, je n’ai aucun doute qu’il voudra bien consacrer 13,07% de son salaire à l’ouverture de ses droits sociaux !
Cela dit, si les étudiants bossent, c’est souvent qu’ils n’ont pas d’autre choix, non ?
En effet, il faut faire en sorte d’éviter que l’étudiant n’ait d’autre choix que jober pour s’en sortir. L’idéal serait que l’étudiant puisse continuer à bosser, mais sans obligation et aux mêmes conditions qu’un autre travailleur, en limitant le travail hors été. Autrement dit, il faut qu’il ne travaille que s’il choisit de le faire et, s’il fait ce choix, que cela ne soit au détriment ni des autres salariés ni de la Sécurité sociale, ni bien sûr de ses études.
Comment l’étudiant démuni peut-il s’en sortir sans l’apport de son job ?
La première piste est clairement celle de la diminution du coût des études. C’est une revendication constante du mouvement étudiant, à juste titre. Outre les frais directs, cela nécessite aussi des politiques de logement étudiant abordable et de transports en commun gratuits. Une amélioration du système des bourses s’impose aussi. Les allocations d’études de la Fédération Wallonie Bruxelles (FWB) sont faméliques, autour des 1.000 € annuels. Et elles ne concernent qu’environ 20% des étudiants. Les plafonds de revenus des parents sont trop bas. Un étudiant dont les parents gagnent plus de 40.000€ par an n’aura pas droit à une bourse ! Cela ne signifie pas qu’ils pourront payer, surtout s’il faut louer un kot. Le système des bourses, comme les aides du CPAS, est empreint d’une dimension familialiste qui contraint à la dépendance et ne permet pas nécessairement de sortir de la précarité. On ne peut pas lutter pour la démocratisation des études seulement avec les bourses, a fortiori actuelles. Et les mêmes problèmes se posent avec les CPAS, de façon plus ou moins aiguë, tant la diversité des politiques est importante d’une commune à l’autre. L’aide du service social étudiant de l’établissement académique est précieuse, ne fût-ce que pour aiguiller l’étudiant, mais leur budget varie fort d’une institution à l’autre et n’est jamais suffisante.
On est dans l’impasse alors ?
Pour moi, on doit clairement dynamiter et repenser les cadres de pensée existants qui visent à gérer la misère présente. Le système de bourses d’études est un modèle construit sur l’université de l’après-guerre. 95% d’enfants de familles aisées qui fréquentent l’unif et 5% d’enfants des autres couches sociales qui y accèdent grâce à un système de bourse. Mais, depuis, l’enseignement supérieur a changé. S’il ne s’est pas complètement démocratisé, il s’est en tout cas massifié et attire des centaines de milliers de jeunes chaque année provenant d’horizons socioéconomiques différents et avec un soutien familial très différent selon les cas. Les bourses d’études ont été améliorées au fur et à mesure, mais comme des pansements pour colmater les brèches. La composition sociale des diplômés reste très différente de celle des primo-inscrits. C’est aussi à ça qu’on voit que la démocratisation n’est pas complète. Les raisons de ces échecs sont évidemment diverses, mais la difficulté de financer les études en est une. Sans revenu stable, l’étudiant ne peut se consacrer à 100 % à ses études, voire va se restreindre dans son choix d’études. Sans une famille ou une bourse solide, qui se lancera dans des études de médecine ?
Vous avez des pistes ?
Il y a trois options pour aider les étudiants à accéder à un revenu décent. Soit ils travaillent pour financer leurs études, soit ils dépendent des revenus des familles, soit l’Etat intervient. Aujourd’hui, on est dans un mélange des trois, selon votre situation particulière. Mais le financement via le travail étudiant ou les revenus des familles est foncièrement inégalitaire. Chacun ne part pas avec les mêmes chances. L’aide de l’Etat est actuellement insuffisante et concerne trop peu d’étudiants. Une solution pourrait être l’instauration d’une allocation d’autonomie qui permettrait de lutter contre l’inégalité d’accès aux études et d’autonomiser l’étudiant dans ses choix par rapport à ses parents (et à leurs revenus), au CPAS, etc. L’idée est que le job de l’étudiant est d’étudier durant l’année, pas de travailler, et en tout cas pas qu’il y soit forcé pour subvenir au financement de ses études. La meilleure façon d’y parvenir nous semble de garantir un revenu à l’étudiant. Un revenu qui inscrirait aussi les étudiants dans la sécurité sociale, puisqu’il faut souligner que les étudiants sont les seuls adultes à n’être pas inclus dans la Sécu, allocations familiales mises à part (et ils perçoivent rarement directement celles-ci).
Il s’agirait de donner un montant identique à chaque étudiant ?
Les modalités pratiques d’une allocation d’autonomie doivent être encore peaufinées. Un point important est en effet de savoir s’il s’agirait d’un montant identique pour tous ou modulé en fonction de divers éléments : les ressources directes ou des parents et dans quelle mesure, le fait de devoir se loger ou non, la gratuité ou non des transports, etc. Il paraît logique de prévoir des modulations en fonction des besoins sociaux, au-dessus d’un socle commun pour tout le monde. D’autant que vu le nombre de gens qui ne demandent pas des droits auxquels ils sont éligibles, créer un droit garanti, pour les plus démunis y compris, est une piste à ne pas négliger. Mais le principal débat, c’est de considérer l’étudiant comme un adulte autonome, non dépendant des revenus de ses parents ou de leurs choix parfois différents, et non dépendant du travail étudiant, en droit d’accéder à notre système de sécurité sociale. Ce serait un véritable basculement.
La proposition de Mélenchon par exemple, c’est instaurer une allocation d’autonomie pour les jeunes de 18 à 25 ans, d’une durée de trois ans, sous réserve d’une formation qualifiante et sous condition de ressources ! (2)
Benoit Hamon aussi l’avait intégré dans son programme. Ce qui veut dire que toute la gauche française se rallie à cette idée. Mais avant d’être une idée de tel ou tel politicien, l’allocation d’autonomie est depuis une décennie une revendication centrale de l’UNEF (syndicat étudiant français). Donc si ce débat perce dans l’opinion publique, comme toujours, c’est parce qu’une partie importante du mouvement social porte cette revendication. Mais pour revenir à la proposition d’un socle commun, avec des conditions de ressources certes, c’est primordial car c’est l’inverse du système actuel où c’est celui qui n’a pas assez de ressources qui doit aller quémander l’aumône. Entre le pauvre ou le riche mis en marginalité, j’ai vite fait mon choix ! Un droit social c’est l’inverse de la charité, c’est censé protéger les 99%.
Un socle commun, ça fait furieusement penser à l’allocation universelle !
Dans un système fort de sécurité sociale, les assurés sociaux n’ont pas besoin d’une allocation universelle. Certains partisans de celle-ci utilisent la fragilisation de la Sécu pour avancer leurs pions, au lieu de revigorer les droits du système d’assurance. Le seul avantage que je vois avec le débat sur l’allocation universelle, c’est qu’on peut enfin reparler de ceux qu’on a exclus de tout système de sécurité sociale. Pourtant, l’enjeu est de les réintégrer dans notre système de solidarité collective, pas de détruire la sécu ou de donner à ceux qui ont déjà bien assez. Mais les étudiants sont donc les seuls adultes à n’être pas inclus parmi les assurés sociaux. Et ce alors qu’ils vivent dans la dépendance des parents et/ou du travail étudiant et ont donc besoin d’une allocation pour briser cette double dépendance.
Il y a d’autres adultes exclus de la Sécu !
Certes mais qui ne devraient pas l’être. A commencer par les jeunes sortant des études. Ce n’est pas parce que nous avons des propositions concernant les étudiants qu’on n’en a pas pour les autres catégories de jeunes. En avril, nous avons validé quarante-cinq revendications concernant 100 % des jeunes de 15 à 30 ans. Pour les jeunes demandeurs d’emploi, notre proposition est une allocation d’insertion taux isolé (avec suppression du statut cohabitant) pour tous dès octobre de la fin des études, donc sans stage d’insertion comme actuellement. Les jeunes demandeurs d’emploi ne seraient donc pas abandonnés au profit des étudiants, ils recevraient pour beaucoup davantage que dans la situation actuelle. D’ailleurs, préférez-vous qu’un étudiant travaille pendant qu’un jeune demandeur d’emploi ne trouve pas d’emploi et reçoit (parfois) une allocation ou bien l’inverse ?
Mais la Sécu ne prévoit pas de donner une allocation avant l’entrée dans le monde du travail !
On reste scotché à une vision de la sécurité sociale créée dans les limbes de la Seconde Guerre Mondiale et la naissance de « l’Etat providence ». Une période qui alliait plein emploi, croissance et amélioration des conditions de vie. Ça voulait dire que les jeunes qui sortaient de l’école trouvaient un emploi très rapidement après. A 15 ou 16 ans dans les classes populaires. Après les études supérieures pour les enfants des classes plus aisées. Aujourd’hui, étudier est présenté comme un rempart contre le chômage. En effet, le taux de chômage des diplômés est trois fois inférieur à celui des travailleurs sans qualification. Le BAC+3 est quasiment incontournable dans beaucoup d’offres d’emploi. Depuis trente ans, on assiste donc à une entrée de plus en plus tardive dans le monde du travail. 23 ou 24 ans pour la case sortie des études, mais surtout 26-27 ans au mieux pour un premier contrat stable. Pourtant, on n’a pas adapté notre protection sociale à cette précarisation de l’entrée dans la vie active ni à l’apparition d’une nouvelle période de la vie adulte : la période étudiante pour une proportion de plus en plus grande de la jeunesse. Une période où ils sont livrés à eux-mêmes sur le plan des moyens de subsistance, entre les cordons de la bourse des familles qui s’étiolent, un Etat de plus en plus avare en aides directes et une précarisation des petits boulots. A l’époque où le chômage s’est installé comme un risque social en début de carrière, on a bien élargi les conditions d’accès aux allocations d’attente. La précarité de la période étudiante (et les campagnes de pubs vers les étudiants sur les produits et plans bon marché attestent de cette situation) mérite que la gauche se batte pour mettre les jeunes étudiants en sécurité sociale. A nous d’être offensifs et à nous battre pour des droits nouveaux qui protégeront les 100 % des jeunes qui en ont besoin.
Ne risque-t-on pas de pousser certains à faire durer leurs études ?
L’allocation d’autonomie devrait être prévue pour une durée maximale évidemment. Avec un droit à l’échec raisonnable. Par exemple trois ans plus deux en bachelier et deux ans plus un en master, soit un total de huit ans maximum donc, en lien avec le projet professionnel du jeune. Mais j’aimerais tout de même recadrer les stéréotypes sur les jeunes fainéants. Je ne connais pas un seul jeune qui fasse des études pendant trois ou cinq ans avec l’ambition de finir au chômage. Personne ne peut se satisfaire de l’allocation d’autonomie dans la durée. Chacun aspire à un salaire décent.
Un tel projet est-il réaliste ?
Il est nécessaire. C’est ça le premier critère. Evidemment, ça n’arrivera pas demain, mais c’est un débat sur lequel nous aimerions entendre plus les partis progressistes. Quelle proposition créatrice de droits nouveaux pour les étudiants (mais aussi pour tous les jeunes) contiendront leurs programmes électoraux de 2019 ? Mais sinon c’est toujours et d’abord une question de choix politique. Prenons un exemple. En 2015, le gouvernement nous a imposé (à tous les travailleurs et allocataires sociaux) un saut d’index, nos revenus ont donc été bloqués. Ce qui a représenté 2,5 milliards d’euros, un cadeau qui est allé directement dans la poche des employeurs sans contrepartie de création d’emploi. Ces 2,5 milliards perdus en un an par les travailleurs avec ou sans emploi représentent 420 euros par mois qui auraient pu être versés à chaque étudiant. Je ne dis pas que c’est ce qu’il aurait fallu faire avec ces 2,5 milliards d’euros, ni bien sûr qu’il faut répéter les sauts d’index, mais ça montre simplement que d’autres choix sont possibles. Et je pense que les travailleurs avec ou sans emploi préfèreraient un nouveau droit garanti à chacun de leurs enfants plutôt que de donner des chèques en blanc aux employeurs. Cela diminuerait en outre la peur d’une situation où mon licenciement, mon burn-out, mon accident de travail ou mon départ en prépension m’empêcherait de financer les études de mes enfants. Il faut réfléchir à un système cohérent et moins familialiste. Ce sont les étudiants qui étudient, pas leurs parents. Leurs droits ne doivent pas dépendre de leur situation familiale. On peut par exemple questionner les réductions fiscales pour enfant à charge qui n’auraient plus de sens pour le bénéficiaire d’une allocation d’autonomie. Elles avantagent ceux qui ont déjà le plus de revenus comme toutes les déductions fiscales. L’allocation familiale pourrait aussi faire partie du financement. Les cotisations sociales sur le travail étudiant constitueraient aussi un certain apport.
N’est-ce pas une revendication sectorielle étudiante qui ne vise pas les plus démunis, les uns parce qu’ils n’ont pas accès aux études, les autres parce qu’ils rentrent dans les critères des bourses et/ou des CPAS ?
C’est vraiment le contraire du corporatisme vu que la limitation du job étudiant à l’année aurait des effets positifs sur les rentrées de la Sécu, sur les heures proposées aux temps partiels contraints et sur les opportunités d’emploi des jeunes peu qualifiés. Pendant ce temps-là, les étudiants pourront se concentrer sur leurs études, et s’ils le souhaitent, chercher un travail d’appoint dans leur domaine d’étude. Et vu la limitation et l’insuffisance des aides, tant de la FWB que des CPAS, ce serait surtout un soutien aux moins favorisés des étudiants ! En tout cas, et c’est le principal, on aura alors aboli le salariat étudiant contraint par manque de ressources. Finalement, et c’est mon espoir, quand on sait que 50 % des jeunes ne font pas d’études supérieures, il y a peut-être un public qui prendra davantage confiance en ses capacités s’il est convaincu de ne pas être un poids financier pour ses parents grâce à l’allocation d’autonomie étudiante. Cela pourrait être un facteur puissant de démocratisation.
(1) C’est une constante mise en évidence par l’Observatoire de la vie étudiante, en France, qui réalise chaque année une enquête approfondie. Il est regrettable qu’un tel outil n’existe pas en Belgique.
(2) https://laec.fr/section/27/donner-aux-jeunes-les-moyens-de-leur-autonomie
www.asbl-csce.be
Propos recueillis par Yves Martens (CSCE)
Enretien paru dans la revue Ensemble du Collectif Solidarité Contre L’Exclusion, n°94 - Septembre 2017
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